17/08/2021
Le retour des talibans au pouvoir n’est pas une surprise
Par Djia Voltaire
Depuis plusieurs heures, l’essentiel des mass-medias diffuse en boucle des images de la débâcle américaine en Afghanistan dont le couronnement récent a été la reprise du pouvoir à Kaboul par les talibans. L’idée derrière cette large diffusion est de faire de ce départ américain un fait géopolitique majeur et de le présenter comme une surprise. Mais cela ne marche qu’avec ceux qui considèrent l’histoire du point de vue des détails. Je souhaite dans ce texte montrer, du point de vue logique, que le retour des talibans au pouvoir est tout à fait ordinaire.
Avant de commencer, il faut définir ce que j’entends par « point de vue logique ». La logique traite du raisonnement valide. Un raisonnement est une suite de propositions qui sont organisées de façon à ce que les unes, appelées les prémisses soutiennent l’autre, appelée la conclusion. Puisqu’il faut considérer le raisonnement dans son ensemble, le point de vue logique ne peut donc simplement s’appuyer sur une proposition, un énoncé vrai ou faux, sans essayer de retrouver le lien que cette proposition a avec les autres. Parfois, la logique est aussi définie comme la science de la cohérence, c’est-à-dire la science qui nous permet de ne pas dire une chose maintenant et de dire exactement le contraire quelque temps après. La logique repose donc sur ce qu’on appelle le principe d’identité, principe suivant lequel toute chose est égale à elle-même. En quoi est-ce que cette clarification du « point de vue logique » nous aide à comprendre ce qu’il se passe actuellement dans les médias ? Pour y répondre, nous allons utiliser un mélange de pensée globale et de pensée critique. La pensée globale nous aide à ne pas nous concentrer sur les détails et la pensée critique nous permet de poser les bonnes questions.
Commençons donc par voir les réalités dans leur ensemble.
La situation géographique de l’Afghanistan
L’Afghanistan est un pays d’Asie du Sud-Ouest. Le pays est bordé au nord par le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, à l’extrême nord-est par la Chine, à l’est et au sud par le Pakistan et à l’ouest par l’Iran. Cette situation géographique permet aisément de comprendre qu’à l’exception de sa frontière nord, l’Afghanistan est bordé par des pays aux intentions hégémoniques fortes. La Chine est annoncée comme première puissance mondiale d’ici 2030, l’éternelle rivalité entre le Pakistan et l’Inde a forcé le Pakistan à renforcer sa défense militaire et l’Iran est résolument tourné vers l’obtention de l’arme nucléaire, arme de dissuasion ultime. Depuis la chute de l’Union soviétique dont elle faisait partie en 1991, le Turkménistan est devenu l’un des États les plus isolationnistes au monde avec une surveillance satellitaire accrue. En 2017, l’ONG Human Rights Watch classait le pays comme l’un des pays les plus répressifs au monde, avec un bilan désastreux sur les droits de l’homme. L’Ouzbékistan est demeuré proche de la Russie tandis que le Tadjikistan, complètement enclavé, est ethniquement proche de l’Iran.
La situation historique de l’Afghanistan : la guerre froide en action
Depuis 1947, les deux territoires de l’ancien Empire britannique des Indes que sont l’Inde et le Pakistan se font la guerre pour le contrôle du Cachemire. En 1979, les États-Unis apportent leur soutien au Pakistan contre l’Inde qui se veut non alignée pendant la guerre froide, ceci afin de ne pas perdre pied dans la région, l’Afghanistan étant, depuis un coup d’État en 1978, prosoviétique. Rappelons que l’Afghanistan est un ancien protectorat anglais, relique du « Grand Jeu » de rivalités coloniales en Asie entre l’Angleterre et la Russie. En 1893, la ligne Durand avait défini la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, privant ce dernier d’une partie de son territoire au profit du Pakistan.
Toutefois, l’histoire de l’Afghanistan ne serait pas intéressante pour nous s’il n’y avait eu pendant 10 ans (1979-1989) la guerre d’Afghanistan, la guerre de libération de l’Afghanistan de l’occupation soviétique. Traditionnellement considérée comme l’allié des faibles contre l’impérialisme américain, l’Union soviétique devenait elle aussi impérialiste, ce qui devait considérablement la fragiliser. S’étant rendu compte qu’il ne pouvait gagner la guerre en Afghanistan, Gorbatchev y mit fin en 1989.
À partir de 1989, l’Afghanistan est le théâtre de luttes acharnées entre les différents seigneurs de guerre. C’est en 1996 qu’un groupe d’islamistes radicaux appelés les talibans (ce qui veut dire étudiants) vont conquérir le pouvoir avec une grande violence pour restaurer l’ordre. Ils seront aidés en ceci par le Pakistan qui craignait que le pays ne tombe sous l’influence de l’Inde.
C’est le refus par l’Afghanistan de livrer Ben Laden aux États-Unis après les attentats du 9 septembre 2001 qui va créer le conflit américano-afghan dont les événements de ces jours marquent l’épilogue.
Nous avons parlé précédemment de manipulation et de la nécessité de poser les bonnes questions. En quoi la déferlante médiatique sur l’Afghanistan nous éloigne-t-elle de la vraie question ? Pour le comprendre, rendons-nous en Amérique et plus précisément au Venezuela.
L’échec américain au Venezuela
Le 30 août 2021, le pouvoir et l’opposition vénézuélienne retourneront à la table des négociations à Mexico. L’opposition dirigée par Juan Guaido exige un nouveau calendrier électoral, incluant le scrutin présidentiel prévu en 2024. Mais qui aurait pu imaginer qu’en 2021, Maduro serait toujours à la tête du Venezuela ? Le 7 mars 2019, le Secrétaire d’État des États-Unis de l’époque, Mike Pompeo, prédisait dans un tweet la fin imminente de Maduro en écrivant : « No food, No medicine. Now, no power. Next, no Maduro » (traduction : « Pas de nourriture, pas de médicaments. À présent plus de pouvoir. Bientôt, plus de Maduro ».)
Mais la réponse à Pompeo n’a pas tardé à venir. En 2019, Dan Kovalik publiait aux éditions Hot Books un livre pour donner plusieurs détails sur ce qu’à peu près tout le monde connaissait déjà. Le titre de ce livre révélateur est des plus clair : The Plot to Overthrow Venezuela, How the US is orchestrating a coup for oil (Le complot pour renverser le Venezuela : Comment les États-Unis orchestrent un coup d’État pour du pétrole). On y retrouve par exemple une clarification de la véritable raison de la cabale contre le Venezuela. Selon Paul Craig Roberts, secrétaire adjoint au Trésor sous le président Ronald Reagan, « l’un des objectifs des efforts américains de changement de régime est de reprendre le contrôle des ressources vénézuéliennes, en particulier des très importantes réserves de pétrole. Washington n’a jamais pardonné à Chavez d’avoir nationalisé le pétrole et d’avoir utilisé les revenus du pétrole pour le Venezuela plutôt que pour les profits des entreprises américaines. L’objectif est donc d’installer une marionnette américaine que Washington a choisie comme président, qui privatisera la compagnie pétrolière et d’autres ressources afin que les Américains puissent reprendre l’exploitation du pays. »
De retour en 2021, nous dirions qu’il y a encore des efforts à faire pour le succès de ce plan. Suivant des informations du site capital.fr, le français TotalEnergie et le norvégien Equinor ont annoncé jeudi 29 juillet avoir vendu leur part au géant pétrolier vénézuélien PDVSA.
Le lecteur attentif doit maintenant se poser la question : pourquoi les États-Unis ont-ils échoué au Venezuela et pourquoi partent-ils de l’Afghanistan ? Il n’y a qu’une réponse à ces deux questions : les États-Unis n’ont plus les moyens de conserver leur position de gendarme du monde. Pour comprendre que ceci n’est pas une nouveauté, il faut observer ce qu’on appelle en géopolitique les tendances structurelles. L’une de ces tendances est la fin de l’hyperpuissance américaine.
La fin de l’hyperpuissance américaine
Sortis grandis de la deuxième guerre mondiale et vainqueurs contre l’Union soviétique de la guerre froide, les États-Unis ont été pendant plusieurs décennies à la tête du monde, menant parfois des campagnes militaires dans le monde et contre l’avis de tous, comme en Irak en 2003. Mais l’on ne saurait affirmer que cette position de gendarme du monde est encore la leur aujourd’hui. Ayant constaté la fin de l’hyperpuissance américaine, Donald Trump a été porté au pouvoir en promettant aux Américains de redonner sa grandeur à leur pays : « make America great again ». Il pensait que l’isolationnisme d’avant la 2e guerre mondiale restaurerait la grandeur des États-Unis, raison pour laquelle il a retiré ou menacé de retirer son pays de la plupart des organisations et accords internationaux : Accord de Paris sur le climat, accord de Vienne sur le nucléaire iranien, ALENA, UNESCO, etc.
Le président Joe Biden n’a peut-être pas emboîté le pas à Trump, mais il y a un constat commun fait par les deux présidents : les États-Unis n’ont plus les moyens de mener plusieurs combats en même temps. La conjoncture n’est plus à la dépense extérieure aux États-Unis. Le 24 juin dernier en effet, Joe Biden annonçait avoir obtenu un accord avec un groupe de dix sénateurs républicains et démocrates sur un plan d’investissement massif dans les infrastructures dont le coût est de plus de 1200 milliards sur 8 ans. Il y a exactement une semaine, le 10 août 2021, le Sénat des États-Unis a largement approuvé ce plan avec 69 voix pour et 30 voix contre. Quoi de plus logique, dans un tel contexte, que la fin des dépenses extérieures consacrées à des guerres qui s’éternisent.
Que devons-nous donc retenir ?
Le retour des talibans au pouvoir à Kaboul n’est pas une surprise. Les États-Unis sont partis d’Afghanistan parce qu’ils n’ont plus les moyens de supporter cette guerre interminable. Comme l’Union soviétique en 1988, les États-Unis se rendent compte que l’occupation sans fin d’une terre étrangère, même pour lutter au loin contre le terrorisme, ne peut avoir pour effet que la fragilisation des intérêts locaux. C’est une excellente chose pour les Africains, car ce que nous avons dit ici des États-Unis s’applique également à l’Europe, notre bourreau de toujours. La guerre comme moyen de domination des peuples est aujourd’hui obsolète, elle est simplement trop coûteuse pour continuer à être maintenue par des États économiquement en difficulté.
L’enseignement que nous offre le cas afghan est donc celui de la nécessité de la liberté des hommes. Et pour nous, dominés de l’histoire, l’heure est à l’optimisme. Nous n’aurons peut-être pas besoin d’attendre encore plusieurs décennies pour voir notre lutte de libération connaître du succès. En attendant, la lutte continue.
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Edéa le 17/08/2021
Djia Voltaire