03/06/2019
COMMENT LES APPORTS DE LA DIASPORA PEUVENT CONTRIBUER DE MANIÈRE SIGNIFICATIVE À TRANSFORMER LES ÉCONOMIES NATIONALES (partie 1/3)
il est généralement admis que les États africains fragiles devront déployer de très gros efforts pour améliorer leurs indicateurs de croissance économique et de progrès social, s’ils veulent être en mesure de contribuer à l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) d’ici 2025 et au-delà. Dans un tel contexte, les États en situation d’après crise ou conflit sont généralement confrontés aux problèmes suivants : une forte demande de prestations de services de la part des citoyens ; la vive attente des donateurs et partenaires de voir se mettre en place des structures de promotion de la transparence et de la responsabilisation ; et la rareté voire l’absence des ressources humaines capables de produire les résultats escomptés sur l’agenda général du développement.
Pour mieux comprendre l’apport de la diaspora, un retour aux origines historiques s’avère très indispensable.
LA DIASPORA : HISTORIQUE
En accédant à l’indépendance, nombre de pays africains se sont attelés à bâtir une nation, créant à cet effet des institutions qui ont servi de creuset à la plupart des dirigeants africains actuels et des professionnels et experts de haut niveau. Toutefois, ces institutions de première génération ont été affaiblies par la mauvaise gouvernance politique et économique de la fin des années 70 et la rigueur des réformes économiques des années 80 à 90 qui ont fait fuir la main-d’œuvre qualifiée et émergente. Puis survint L’éclatement de graves conflits dans de nombreux pays de la région qui eurent pour effet d’affaiblir davantage ces institutions et de pousser au départ encore plus de professionnels, tout en faisant fuir les industries et les investisseurs étrangers.
Globalement, la fuite des cerveaux de l’Afrique subsaharienne s’est établie auprès d’un million de personnes ayant poursuivi des études de niveau tertiaire jusqu’à l’an 2000, année pour laquelle on dispose des données statistiques les plus récentes et les plus analysées en détail. L’exode des cerveaux dans les pays africains, en particulier les États fragiles et en proie à un conflit, peut être attribué à une combinaison de facteurs d’attraction et de facteurs de répulsion tels que la mauvaise gouvernance politique et économique, un conflit en cours, ou encore le désir de poursuivre des études supérieures à l’étranger. Parmi les facteurs d’attraction avérés, on peut citer : la demande de main-d’œuvre qualifiée à l’étranger comme par exemple la demande de personnel médical au Royaume uni et dans d’autres pays de l’OCDE. Aussi, les professionnels africains ont-ils tiré profit de la mobilité internationale de la main d’œuvre pour exercer leurs talents dans les pays africains plus stables économiquement ou alors tentent leur chance à l’extérieur du continent.
Les statistiques sur les africains vivant ailleurs que dans leurs pays (sans tenir compte du niveau d’éducation) varient, mais certaines sources estiment à plus de 30 millions la nouvelle diaspora africaine en 2009, dont la majorité vit sur le continent africain. Il y avait 7,2 millions de migrants africains identifiés officiellement dans les pays membres de l’OCDE, dont 3,8 millions de nord-africains et 3,4 millions d’africains subsahariens. Le recensement démographique effectué en 2000 en donne la composition par pays d’origine et pays de résidence ; environ 6 millions de migrants africains sont identifiés en Amérique du nord et en Europe, dont près d’un million aux États Unis, 282 600 au Canada et 4,7 millions en Europe. Il ressort des chiffres des migrants identifiés dans les pays de l’OCDE que l’immigration africaine y est marginale comparée à d’autres pays pourvoyeurs – par exemple, en 2000, il y avait 8 millions de mexicains résidant aux États-Unis
Le chiffre estimatif de 30 millions de migrants africains ou davantage résidant en dehors de leur pays d’origine peut se comparer aux 25 millions de personnes originaires de l’Inde (soit normalement, l’équivalent de près de quatre générations), mais il est en deçà du nombre de chinois vivant à l’étranger qui, selon les estimations, oscille entre 40 et 60 millions. La comparaison avec les chiffres de ces groupes de migrants et le caractère évident de leurs contributions au développement de leurs pays justifient encore plus la nécessité de mobiliser la diaspora africaine en vue du développement économique du continent. Récemment encore, les communautés chinoises, indiennes et coréennes et d’autres membres de diasporas de par le monde ont été proclamés champions du transfert de savoir, de compétences, de flux des investissements directs étrangers (IDE) et de capitaux de leurs pays d’adoption vers leurs pays d’origine, contribuant ainsi en partie à l’industrialisation rapide que ces pays ont connue.
Les ouvriers qualifiés représentent une partie importante des migrants provenant des États fragiles de l’Afrique subsaharienne : les pourcentages de ces migrants qualifiés en l’an 2000 sont les suivants : Burundi, 51% ; République centrafricaine, 41% ; Tchad, 48%; Côte d’Ivoire, 31% ; Djibouti, 38%; Érythrée, 41%; Guinée, 26% ; Liberia, 58% ; Sierra Leone, 50% ; Togo, 40% ; Zimbabwe, 55% ; etc. Il en résulte que près de 75% des migrants quittant les pays africains à destination des pays de l’OCDE avaient achevé leurs études tertiaires, et “plus d’un tiers des ressources humaines hautement qualifiées de l’Afrique se trouve dans la diaspora.
PRINCIPALES CAUSES DE LA FUITE DES CERVEAUX
Conflit en cours
Un nombre significatif d’africains migrent des suites d’un conflit mais la grande majorité d’entre eux se réinstallent à l’intérieur des frontières de leurs pays d’origine ou dans les pays voisins. En 2009 par exemple, il y avait 4,9 millions de personnes déplacées à l’intérieur du Soudan et 1,4 million en République démocratique du Congo ; environ 2,2 millions de réfugiés africains vivent hors de leurs pays d’origine des suites d’un conflit ou de catastrophes naturelles telles que la sécheresse. Souvent, cependant, les personnes hautement qualifiées ont tendance à se réinstaller dans les pays de l’OCDE ou des pays de la région, plus stables économiquement, où elles peuvent continuer d’exercer leurs talents
Mauvaise gouvernance
Partout en Afrique, la médiocrité de l’environnement politique, économique et social a exacerbé l’exode des cerveaux lequel, à son tour, a aggravé les lacunes institutionnelles et provoqué la faillite de l’État. De nombreuses statistiques font état des taux élevés de l’émigration des personnels de santé et de certains professionnels à travers tout le continent africain, au point que l’on peut noter, entre autres, que le nombre de docteurs d’origine éthiopienne exerçant à Chicago pourrait dépasser le nombre de ceux présents à Addis Abéba, ou que plus de la moitié du personnel universitaire nigérian serait employé en dehors du pays, et que les trois quarts des docteurs ghanéens et zimbabwéens quittent leurs pays quelques années à peine après avoir achevé leurs études de médecine . Polzer rapporte qu’entre 1 et 1,5 million de Zimbabwéens environ, y compris des ouvriers qualifiés, se sont relocalisés en Afrique du Sud depuis 2000, début de la vague de migration actuelle ; d’autres experts estiment que ce chiffre pourrait même atteindre 5 millions. Cet exode massif des travailleurs du secteur de la santé au Ghana a entraîné des taux de vacances de 47 % et de 57%, respectivement, pour les postes de docteurs et d‟infirmières en 2002. Un autre facteur qui a accéléré la fuite des cadres africains hautement qualifiés est l’attrait de salaires plus élevés et de meilleures perspectives de carrière offertes dans les pays de l’OCDE aux migrants qui réussissent à s’intégrer dans l’économie de ces pays. Cependant, il est fait état avec autant de publicité du nombre important de professionnels des pays en voie de développement formés dans leurs pays qui occupent des postes nettement en deçà de leurs mérites (c’est le cas, par exemple, de docteurs des hôpitaux qui se convertissent en chauffeurs de taxi professionnels).
Étudier à l’étranger pour obtenir des diplômes supérieurs encourage aussi la fuite des cerveaux
A côté des experts africains qui émigrent pour des raisons de mauvaise gouvernance ou l’éclatement d’un conflit, de nombreux professionnels d’origine africaine résidant et exerçant dans les pays développés ont émigré pour obtenir des diplômes supérieurs. Beaucoup de ces africains partis pour poursuivre des études avancées dans les pays développés, particulièrement dans les pays d’immigration traditionnels tels que les États-Unis, le Canada et l’Australie, ne retournent pas dans leur pays d’origine une fois le diplôme obtenu, surtout lorsque la faillite du pays d’origine est due à la mauvaise gouvernance politique et/ou économique. Il y a en effet une forte corrélation entre la propension au retour après les études à l’étranger et les conditions qui prévalent dans le pays d’origine. Le taux d’expatriation des étudiants demeure exceptionnellement élevé dans les pays de l’Afrique subsaharienne à l’exception de l’Afrique du Sud. La situation est différente dans d’autres régions du monde en voie de développement, y compris le Maghreb, l’Asie, l’Amérique latine et le Proche Orient où la proportion d’étudiants qui partent à l’étranger pour étudier se stabilise, voire même diminue en raison du développement considérable de l’enseignement supérieur dans ces pays au cours des deux dernières décennies. Docquier et Marfouk font ainsi remarquer que la fuite des cerveaux est actuellement plus accentuée qu’elle ne l’était deux ou trois décennies auparavant.
Suite…
La prochaine fois nous allons poursuivre avec LA DIASPORA : CROISSANCE ECONOMIQUE ET PROGRES SOCIAL en s’interrogeant sur comment les Envois de fonds permettent-ils la construction de la nation
Comment MOBILISER LES INVESTISSEMENTS ET L’ENTREPRENARIAT DE LA DIASPORA POUR LE DEVELOPPEMENT DU SECTEUR PRIVE
Et des autres contributions diverses de ladiaspora
Yannick Idriss Wafo,
Douala le 03 juin 2019